La pêche au corail rouge de Méditerranée

La pêche au corail rouge est une institution depuis des millénaires.

On pense que les premières récoltes volontaires de corail se faisaient en plongée libre. Là où il n’était pas trop profond. Mais dans l’Antiquité, on utilisait aussi de vieux filets accrochés à un poids (radasses, faubert).

Cet engin de pêche au corail a été ensuite perfectionné en attachant les fauberts à deux poutres fixées en croix à un gros poids central : c’est la « croix de saint André » ou « ingegno » dont la première description date du Xe siècle. D’autres engins, comme le salabre ou la gratte, étaient dotés d’une couronne dentée en fer pour pouvoir arracher des branches de corail dans les cavités. Les croix pouvaient être très grandes, jusqu’à 5 m d’envergure. Elles nécessitaient alors un équipage nombreux pour la manipulation. Et pour manœuvrer la barque « coralline » à la rame et à voiles.

La version moderne de l’ingegno est une grosse barre de fer traînant des chaînes avec des fauberts. Un chalutier tracte ce que l’on nomme la « barre italienne ». Les effets de tels engins sont désastreux pour l’habitat du corail : rochers rabotés, cassés, retournés, ou recouverts de vase. De plus, beaucoup de branches cassées restent au fond. La croix est interdite en France et dans la plupart des pays. Les derniers bateaux à l’utiliser en Corse abandonnent cette pratique après 1983.

Un métier à risques qui s’est modernisé

Le développement de la plongée autonome depuis les années 50 change radicalement la manière d’exploiter le corail rouge en Méditerranée. Les corailleurs plongent seuls à l’air jusqu’à 80 et même 100 m de profondeur, et plus bas en utilisant des mélanges gazeux et même des recycleurs à circuit semi-fermé. C’est donc une profession à hauts risques. Les mélanges trimix à base d’hélium réduisent la toxicité de l’oxygène sous pression et la narcose, et permettent de travailler au-delà de 100 m de profondeur.

A plongée typique de corailleur profond, précède toujours une recherche d’un site corallifère et son balisage. L’utilisation de sondeurs désormais très performants et de GPS facilite le travail. Certains corailleurs utilisent une caméra téléguidée (ROV) pour vérifier la présence de corail avant de plonger. Il y a ensuite une préparation minutieuse du matériel par le corailleur et son marin. Le travail au fond dure environ 20 mn et la remontée très lente se fait par paliers dont la durée dépasse souvent 3 heures en respirant de l’air, puis de l’oxygène dans un narguilé envoyé par le marin. Les pêcheurs effectuent les derniers paliers sur le bateau dans un caisson de décompression. Mais il faut alors que le corailleur se déséquipe en moins de 3 mn.

Une pêche au corail réglementée

En France, c’est la Direction régionale des affaires maritimes qui encadre la pêche au corail. Un corailleur est un inscrit maritime qui doit avoir le certificat d’aptitude à l’hyperbarie classe II ou III mention B option pêche au corail. Il doit aussi obtenir une dérogation pour pêcher en scaphandre. Il doit remplir un carnet de pêche. Un marin également certifié doit l’assister en surface. Le nombre d’autorisations de pêcher le corail accordé annuellement par les Directions régionales des affaires maritimes est décidé après consultation des représentants de la profession.

Le corail rouge n’est pas une espèce en danger. Même si son exploitation tend à éliminer une part importante des stocks. Cette affirmation peut paraître paradoxale, mais s’explique par le fait que le corail rouge devient fertile dès qu’il atteint 2 à 3 cm de haut. Une taille qui n’a aucune valeur commerciale. Ceci explique pourquoi on continue de voir du corail en abondance sous forme de petites branches à quelques mètres de profondeur dans la région marseillaise. Toutefois, il faut instituer des sanctuaires permanents sans aucune pression humaine pour le corail rouge. Afin qu’il puisse se développer au fil des siècles jusqu’aux tailles maximales que l’espèce est capable d’atteindre. Le corail rouge est inscrit à l’annexe II de la convention de Berne et à l’annexe III de la convention de Barcelone, ce qui implique que les stocks doivent être gérés.

D’après Jean-Georges Harmelin, biologiste marin, avec son aimable autorisation.

Crédit photos : Georges Antoni, avec son aimable autorisation.